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Théories sur le comique

Aristote:

Dans sa Poétique, Aristote nous dit que le principe du comique est la laideur "sans douleur ni destruction". Cette expression va imprégner toute la tradition du comique théâtral qui fait le lien entre le comique et le "bas", notamment le bas corporel. Le second principe important pour Aristote est le principe d'innocuité: le comique n'est tel qu'en tant qu'il échappe à l'émotion. Le spectacle comique ne l'est que s'il n'occasionne pas de dommage pour celui dont on rit.  "La comédie est, comme nous l'avons dit, la représentation d'hommes bas; cependant elle ne couvre pas toute bassesse: le comique n'est qu'une partie du laid; en effet le comique consiste en un défaut ou une laideur qui ne causent ni douleur ni destruction: un exemple évident est le masque comique: il est laid et difforme sans exprimer la douleur."

=>Aristote, Poétique, II, 48a et V, 49a

François Rabelais:

Dans le prologue de Gargantua, apparaît l'idée de la "substantifique moëlle". En effet, Rabelais laisse entendre que derrière le texte comique serait cachée une leçon que le lecteur doit trouver malgré la bouffonnerie du texte

Derrière l'éloge du rire par Rabelais, l'opposition entre Héraclite et Démocrite. Pour Montaigne, le rire est l'expression d'une distance par rapport aux folies des hommes tandis que pour Rabelais, le rire est un acquiescement au monde. Rire, c'est adhérer à la nature humaine. Le sérieux des "agélastes" exprime ainsi une ignorance de la nature de l'homme, une erreur dans le rapport au monde. "Mieux est de ris que de larmes écrire, / pour ce que rire est le propre de l'homme." "Au lecteur", Gargantua

=>François Rabelais, Gargantua, "Avis au lecteur" et prologue

La répétition exprime la raideur comique. Elle  peut aussi faire partie du style de l'auteur. Dans le chapitre 32 du Quart Livre, la répétition des "contenances" exprime l'abondance et l'excès. Cet excès des anaphores permet à Rabelais de glisser du comique de la simple raideur stylistique au comique de la fantaisie verbale. Le langage n'a plus ici de fonction communicative, il devient une simple matière sonore presque inintelligible. 

=> François Rabelais, Le Quart Livre, XXXII

Nicolas Boileau: 

Boileau développe une théorie des comiques. Il oppose un comique "haut", "savant", et un comique "bas", "bouffon". Cette idée de plusieurs comiques est un progrès par rapport au discrédit radical qui concerne le genre comique au début du XVIIème siècle. Boileau apporte une idée importante: il lie le rire à la raison et au sens: "J'aime sur le théâtre un agréable auteur/ Qui, sans se diffamer aux yeux du spectateur, / Plaît par la raison seule, et jamais ne la choque. / Mais pour un faux plaisant, à grossière équivoque, / Qui, pour me divertir, n'a que la saleté/ Qu'il s'en aille, s'il veut, sur deux tréteaux monté,/ Amusant le pont Neuf de ses sornettes fades, / Aux laquais assemblés joués ses mascarades." Boileau, Art Poétique

"Chacun, peint avec art dans ce nouveau miroir, / S'y vit avec plaisir, ou crut ne s'y point voir: / L'avare, des premiers, rit du tableau fidèle / D'un avare souvent tracé sur son modèle; / Et mille fois d'un fat, finement exprimé, / Méconnut le portrait sur lui-même formé." Boileau, Art poétique

La parodie, le pastiche  et le burlesque sont des formes de comique "savant". En effet, elles ne fonctionnent que si le public identifie le texte support. 

=> Nicolas Boileau, Art poétique (GF- Flammarion, 1969, p. 106- 109)

Pierre Corneille: 

Corneille définit le genre comique en fonction de sa relation au réel. La comédie est le reflet des habitudes socioculturelles et du langage. Elle se définit par sa mimésis en plus de son critère comique. Le plaisant se situe au seuil du ridicule. Il affecte les personnages qui sont les supports d'un léger travers et ne les prive ni de dignité, ni de grâce. 

=> Pierre Corneille, Examen de Mélite

Les paroles et les actes sont compris par le public parce qu'ils relèvent d'un accord tacite, d'un "accord de représentation", même s'ils sont invraisemblables. Ils font partie du jeu théâtral, jeu qui autorise les écarts, puisque la fin de la représentation sonnera le retour à la normale. La convention de la comédie permet au comique de s'y déployer avec une légèreté qui le distingue de la farce et de la satire. Puisque les tensions entre les personnages ne sont que provisoires, on peut en rire. La morale des personnages ne se juge pas par rapport au réel mais par rapport au jeu. Le personnage de Dorante dans Le Menteur considère lui- même ses mensonges comme des divertissements. 

=> Pierre Corneille, Le Menteur, I, 5-6

Molière:

L'artiste parvient à faire rire en faisant ressortir une raideur. La stylisation  comique impose de grossir volontairement les traits. La "grimace" comique peut être appuyée et efficace tout en se mettant au service d'une peinture du réel. Le comique visuel relaie et révèle le comique du sens. 

=> Molière, Le Bourgeois Gentilhomme, II, 4-5

La querelle du Tartuffe oppose Molière et la Compagnie du Saint Sacrement  (le "parti dévot") de 1664 à 1669. Cette querelle interroge les enjeux éthiques de la comédie et ainsi que son rôle social. La pièce est condamné au nom des principes de la morale chrétienne. Molière répond  cette censure en s'appuyant sur la morale des Anciens. Dans son premier placet, il souhaite obtenir l'autorisation de pouvoir représenter la pièce en réaffirmant le devoir de la peinture comique. Dans son second placet, il établit le pouvoir régulateur et correctif de la comédie.

"Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j'ai cru que, dans l'emploi où je me trouve, je n'avais rien de mieux à faire que d'attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle [...]". Premier placet au roi pour le Tartuffe, 1664

"On souffre aisément des répréhensions; mais on ne souffre point la raillerie. On veut bien être méchant; mais on ne veut point être ridicule. [...]" Préface à l'édition du Tartuffe, 1669

"On connaîtra , sans doute, que, n'étant autre chose qu'un poème ingénieux, qui, par des leçons agréables, reprend les défauts des hommes, on ne saurait la censurer sans injustice [...]" Préface à l'édition du Tartuffe, 1669

=>Molière, Premier placet au roi pour Le Tartuffe, 1664 et préface de 1669

Les pièces de Molière lient efficacité comique et peinture psychologique, ce qui suscite une grande polémique. On reproche à Molière de tourner les ouvrages de piété en dérision et de tomber dans le bas comique avec sa pièce L'Ecole des femmes. Il compose alors une autre pièce, La Critique de L'Ecole des femmes, dans laquelle des personnages aristocratiques  débattent autour de la valeur littéraire de la première pièce. Molière met alors en avant la difficulté de faire rire le public tout en dénonçant ses travers: "Mais lorsque vous peignez les hommes, il faut peindre d'après nature. On veut que ces portraits ressemblent; et vous n'avez rien fait, si vous n'y faites reconnaître les gens de votre siècle. En un mot, dans les pièces sérieuses, il suffit, pour n'être point blâmé, de dire des choses qui soient de bons sens et bien écrites; mais ce n'est pas assez dans les autres, il y faut plaisanter; et c'est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens." Molière, La Critique de L'Ecole des femmes, 1663

=> Molière, La Critique de L'Ecole des femmes, 6, 1663

Victor Hugo:

Le grotesque est devenu une catégorie esthétique, et est ainsi devenu une forme particulière du comique. Le grotesque naît lorsque l'homme n'est plus digne d'être un homme, lorsqu'il est rabaissé au rang de l'animalité. La spécificité de cette forme est la réception du lecteur qui est dérangeante. "Qu'on se figure une tête de Méduse, gaie./ Tout ce qu'on avait dans l'esprit était mis en déroute par cet inattendu, et il fallait rire."

=> Victor Hugo, L'Homme qui rit, 1869

Hugo veut offrir une peinture vraisemblable du monde. Comique, tragique et pathétique pourront voisiner et s'entremêler dans la même pièce. "Le caractère du drame est le réel; le réel résulte de la combinaison toute naturelle de deux types, le sublime et le grotesque, qui se croisent dans le drame, comme ils se croisent dans la vie et dans la création."

=> Victor Hugo, Préface de Cromwell

Eugène Ionesco:

La perte du sens est un procédé éprouvé dans la création du comique. Le langage se vide  de sa fonction de communication pour se développer dans une dynamique aléatoire. 

=>Eugène Ionesco, Rhinocéros, 1959

Il existe un point commun essentiel entre le comique et le tragique selon Ionesco: tous deux se situent, dans leur expression esthétique, à un niveau perçu comme extrême. Chez Ionesco, le théâtre ne veut pas représenter le monde, mais l'exprimer. Dans la Cantatrice chauve, la perte du sens conduit aussi à une interrogation fondamentale, sur le sens de notre monde. "Le théâtre est dans l'exagération extrême des sentiments, exagération qui disloque la plate réalité quotidienne. Dislocation aussi, désarticulation du langage."

"Pour certains, le tragique peut paraître, en un sens, réconfortant, car, s'il veut exprimer l'impuissance de l'homme vaincu, brisé par la fatalité par exemple, le tragique reconnaît, par là même, la réalité d'une fatalité, d'un destin, de lois régissant l'Univers, incompréhensibles parfois, mais objectives. Et cette impuissance humaine, cette inutilité de nos efforts peut aussi, en un sens, paraître comique. [...] Le comique est tragique, et la tragédie de l'homme, dérisoire." 

=> Eugène Ionesco, "Débuts d'une causerie prononcée aux Instituts français d'Italie", 1958, Notes et Contre-notes

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